Ville-sur-Terre
2 octobre 2013
BURE (en Champagne-Lorraine)
CIGéo : projet d’enfouissement des déchets nucléaires HA et MA-VL
Incroyable :
plongé dans un verre d’eau,
un morceau d’argilite de BURE se délite en 16 minutes
et se transforme en une poignée de gravillons !
Et ce n’est pas une plaisanterie, regardez la vidéo :
Voir la vidéo version 1 mn 34 s
Voir la vidéo version 5 mn 54 s
Non, l’argilite de BURE
n’est pas dure comme du béton,
comme le clame et l’écrit l’ANDRA.
L’ANDRA triche dans sa communication, et veut nous faire croire que l'argilite de BURE se comporte comme du béton !
Propagande qui est largement reprise par les médias. Exemples :
# 1 - Dans le Dossier 2005 : Les recherches de l’Andra sur le stockage géologique des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue - Résultats et perspectives
- page 7 : au cœur d’une roche argileuse très dure, l’argilite.
- page 10 : L’argilite possède d’excellentes propriétés. C’est une roche sédimentaire dure, très peu perméable. Les éléments dissous dans l’eau, radioactifs ou non, s’y dépla- cent très lentement car leur migration vient surtout de leur mouvement propre (diffusion) et non de leur entraînement par de l’eau circulante (convection). De plus, elle a la propriété de retenir de nombreux éléments chimiques, et offre un milieu chimique stable et une bonne capacité à absorber les perturbations chimiques. Enfin, l’argilite présente une bonne résistance mécanique tout en restant suffisamment déformable à long terme pour s’adapter aux mouvements qui s’opèrent très lentement dans le temps.
- page 12 : Le suivi du creusement du laboratoire a montré que ces argilites sont très dures, se déforment peu et lentement.
# 2 - Dans un article de Libération, Jean-Pierre MIGUET, directeur du centre s'amusait à raconter : " une argilite grise et dure comme du béton, «au point que certains visiteurs confondent les deux ".
# 3 - Dans La Vie du Labo n°27 : - page 7 : " Ensuite, sous le poids des sédiments qui se sont accumulés au-dessus d’elle pour former des calcaires, cette boue a expulsé son eau et s’est transformée en une roche solide dont la résistance mécanique avoisine celle du béton."
# 4 - On retrouve cette idée jusque dans les dépêches AFP : "A l'origine, une boue s'étant déposée au fond de l'océan qui baignait la région il y a 150 millions d'années, et qui s'est compactée au fil du temps pour donner une roche dure, imperméable, ressemblant à du béton : l'argilite."
C'est clair, l’ANDRA triche dans sa communication et veut nous faire croire que l'argilite se comporte comme du béton !
Non, le sous-sol de BURE
n’a rien d’un coffre fort géologique
contrairement à ce que l'ANDRA fait circuler. Exemples :
# 5 - L'ETAT DE LA PLANETE relate : Jacques Delay, directeur scientifique du site de Bure, explique: "On ne peut pas garantir la réversibilité au-delà de 300 ans car le but est de créer un coffre-fort géologique. Ce ne serait guère pertinent de le rouvrir une fois la phase de remplissage achevée. De toute manière, il n'y a pas de bonne solution."
# 6 - Dans son fascicule : Rendre gouvernables les déchets radioactifs, page 15, l'ANDRA écrit fin décembre 2012 :
" et d’emprisonner les déchets dans un « coffre-fort géologique » situé à 500 mètres de profondeur ".
# 7 - Dans le site officiel : La radioactivité.com : Il s’agit de faire jouer à une couche souterraine de roches comme l’argile, le granite, le sel ou le tuf, le rôle de coffre-fort vis-à-vis de ces déchets, que ce soit des assemblages de combustibles usés ou des conteneurs de déchets vitrifiés.
# 8 - L'officiel CERIMES publie le 14 janvier 2003 : "L’argilite est une roche qui pourrait servir de "coffre-fort", mais comment extrapoler des études sur la diffusion et la rétention dans cette roche de deux ans à une centaine de milliers d’années ? "
# 9 - Dans un rapport de l'OPECST du 16 mars 2005 : "Dans les deux cas de Mol et de Bure, l'argile se présente ainsi sous la forme d'une couche souterraine qui représente potentiellement un véritable « coffre-fort » pour d'éventuels déchets, à condition que ses propriétés de confinement soient démontrées scientifiquement."
# 10 - Dans l'Express du 20 octobre 2005 : "D'où l'idée du stockage, où le sol ferait office de coffre-fort : la couche géologique profonde représente une barrière naturelle assurant un confinement efficace pour des temps aussi longs que l'activité des produits qu'on y enfermerait"
# 11 - Et dans un blog "syndical", le 13 mai 2010 : "Et nous voila au milieu de La couche d'argile qui va servir de « coffre-fort géologique» aux déchets. On l'appelle argile, mais n'imaginez pas de La terre glaise. C'est de La roche bien dure."
# 12 - Et encore dans un blog sur la radioprotection, le 20 septembre 2010 : "Les études ont montré que l’entreposage en profondeur, dans un milieu géologique semblable à un coffre fort, est la solution idéale pour ne pas laisser un héritage encombrant aux générations futures."
# 13 - Et pour clore, le 23 mai 2013 dans Le Monde.
Pendant le siècle de remplissage, si de l’eau se frayait un chemin dans le stockage, et circulait autour des structures de béton,
que deviendraient les parois en argilite ?
Et en un siècle, l'eau a le temps de trouver une faille, une fracture, un chemin, un des 4 puits, une des 2 cheminées de la ventilation, une des 2 descenderies...
Et ce n’est pas impossible puisque dans le laboratoire actuel, c’est, dit-on, entre 14 et 80 m3 par jour qui s'infiltrent et qui sont remontés par deux pompes.
C'est le côté ASPRO de CIGéo...
Alors pourquoi CIGéo se dissout dans l'eau !
Les scientifiques connaissent cette caractéristique des argilites, et le géologue Jean-Arsène JOSSEN a fait cette synthèse pour nous.
Questionnée, l’IRSN a pris quelques semaines pour nous communiquer une explication technique. Normal : les avis de l’IRSN étant conclusifs, l'IRSN prend son temps.
L'IRSN a donné une réponse succinte et une réponse complète. La réponse complète est analysée dans le paragraphe A10 ci après.
Enfin, parce qu'elle a de l'estime pour les opposants au projet CIGéo, l’ANDRA, prévenue de nos intentions, nous a dissuadés de communiquer cette information !
Nous n'avons pas peur du ridicle, nous persistons et nous diffusons...
L'ARGILITE ET L'EAU
Si on mène quelques recherches sur le comportement de l'argilite en présence d'eau, on se rend compte que ça n'intéresse pas beaucoup de chercheurs. L'IRSN s'est néanmoins penchée sur la question :
A1 - L'IRSN et le tunnel de TOURNEMIRE
Ce tunnel ferroviaire de 1885 m, percé à la fin du 19e siècle est situé en bordure du Massif Central (Sud Aveyron), près de Roquefort. Il donne accès à une couche d' argilite, qui présente des analogies avec celles de Bure. Le tunnel offre ainsi à l’IRSN un terrain sur lequel ses équipes de recherche peuvent développer l’expertise nécessaire pour juger de la pertinence de la démarche scientifique et technique engagée par l’ANDRA pour démontrer la sûreté de son futur projet de stockage géologique de déchets.
Sur le site de l'IRSN on peut noter :
Le comportement mécanique de l’argilite de Tournemire a été étudié en laboratoire sur des échantillons de roche.
L’effet de la désaturation
Comme la majorité des matériaux poreux (en particulier argileux), les propriétés mécaniques de l’argilite de Tournemire dépendent de son degré de saturation en eau (i.e. humidité relative, modifiée lors du creusement des galeries), ce qui a clairement été mis en évidence par des essais de laboratoire : le module d’élasticité, la résistance et la cohésion augmentent avec la désaturation en eau (la roche devient plus rigide). Aux fortes désaturations, le comportement de la roche devient plus fragile, en particulier perpendiculairement à la stratification.
Si la résistance et la cohésion de l’argilite augmente avec la désaturation en eau, et il est même écrit : la roche devient plus rigide, on peut imaginer à l’inverse, que la résistance et la cohésion de l’argilite diminue quand elle est saturée en eau.
Question : que deviennent cette résistance et cette cohésion de l’argilite quand elle est noyée dans l’eau ?
A2 - Il serait intéressant de voir ce que racontent Daupley (1997) - ENS Mines de Paris, et Valès (2004) - ENSAM
X. Daupley (1997) Etude du potentiel de l’eau interstitielle d’une roche argileuse et de relations entre ses propriétés hydriques et mécaniques – Application aux argilites du Toarcien de la région de Tournemire. Thèse de l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris, 182 pages
Valès, F., Nguyen M., Gharbi, H., and Rejeb, A. (2004) Experimental study of the influence of the degree of saturation on physical and mechanical properties in Tournemire shale (France). Applied Clay Science, 26:197-207
ainsi que : COMPARISON OF THE POROELASTIC BEHAVIOR OF MEUSE/HAUTE MARNE AND TOURNEMIRE ARGILLITES : EFFECT OF LOADING AND SATURATION STATES
Sans oublier le renvoi à un laboratoire grandeur nature.
La station expérimentale de Tournemire est l’un des quatre laboratoires de recherche souterrains en milieu argileux en Europe, à côté des laboratoires de Mol (Belgique), du Mont-Terri (Suisse) et de Bure (Meuse/Haute-Marne, France). Elle a été intégrée, en 2007, au réseau des centres d’excellence de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)
Que la station expérimentale de Tournemire soit intégrée au réseau des centres d’excellence de l’Agence internationale de l’énergie atomique - Underground Research Facilities(URF’s) - ne rassure nullement. Chacun sait que la mission de l’AIEA est de promouvoir et de développer l’industrie nucléaire, donc, pour l'AIEA, enfouir les déchets nucléaires est une solution incontournable, et constitue même l’avenir du nucléaire en France ! Solution incontournable, évolution de l'expression option incontournable comme l’a déclaré François BESNUS, et comme c'est titré dans le cahier d'acteurs n°1 du débat public de CIGéo !!!
A3 - L’IRSN nous a indiqué la thèse de Harald FREISSMUTH, (Ecole des mines), du 17 décembre 2002, en anglais qui aborde très bien le sujet : dans le résumé en français, où on peut lire : " Selon la consistance et la concentration d'un liquide, l'argilite peut soit gonfler soit se dégonfler en entrant en contact avec un liquide. Le matériau peut aussi se dissoudre dans le liquide et se désintégrer complètement. "
Les visuels qui illustrent ces 5 pages sont trés explicites : Page 108 - Page 109 - Page 110 - Page 111 - Page 112
Voir également les explications de l'IRSN au paragraphe A10.
A4 - Intéressante la thèse présentée par Quoc Thai PHAM : Effets de la désaturation et de la resaturation sur l’argilite dans les ouvrages souterrains, devant le jury composé notamment de : Pierre Bérest. (un célèbre membre de la CNE - Commission nationale d'évaluation des travaux de l'ANDRA)
A4.1 - On note page 5 : "L’effet de la resaturation sur l’argile à Opalinus est aussi bien observé au Mont-Terri. Un puits d’un diamètre de 1 m ouvert en tête est stable pendant plus d’une année. Après la fermeture du puits, la resaturation du massif a causé la dégradation autour de la paroi du puits (Derek Martin et al. 2003). De plus, l’augmentation de la teneur en eau de l’argile résulte en une grande pression de gonflement dans le matériau derrière la couche de béton projeté. Cette pression est suffisante pour rompre une couche de béton projeté de 150 mm d’épaisseur. La combinaison du gonflement et de l’affaiblissement du matériau peut engendrer des endommagements dans les ouvrages.
Ces endommagements observés suite à la désaturation et la resaturation sur les tunnels de Tournemire et du Mont-Terri peuvent influencer la sûreté du stockage souterrain.
A4.2 - Page 12 :
1.1.3 Hydratation des argiles
L’argile possède une grande variété de tailles d’espace poral, du nanomètre (espace interlamel- laire ou interfoliaire) à une dizaine de micromètres (espace interagrégat) en passant par une centaine de nanomètres (espace interparticulaire). Les molécules d’eau peuvent s’intercaler en grande quantité dans ces espaces. D’autre part, la nature électrique des feuillets ou bien la présence des cations compensateurs peuvent influencer l’interaction eau-argile. Mitchell (1993) fait le point des mécanismes d’hydratation.
- Liaisons hydrogène : les groupements hydroxyles favorisent le développement de liaisons hydrogène : en effet, les atomes d’oxygène sont susceptibles d’attirer les pôles négatifs de l’eau. Au niveau des structures, la présence de ces liaisons entraîne une distribution électronique dif- férente de ce qu’elle est dans l’eau libre. Cela permet de créer les couches d’eau supplémentai- res liées à la première par le même type de liaisons.
- Attraction par des forces Van der Waals : du fait de la charge négative diffuse du feuillet, des liaisons électrostatiques de type Van der Waals peuvent s’établir entre l’eau et les sites où les charges négatives manifestent leur action attractive.
- Hydratation des cations échangeables : les cations dans l’espace interfoliaire deviennent des si- tes privilégiés sur lesquels les molécules d’eau viennent se fixer, l’ensemble forme un polyèdre de coordination.
- Attraction par osmose : plus on se rapproche de la surface chargée négativement du feuillet, plus la concentration des cations augmente. Les molécules d’eau ont tendance à diffuser vers les surfaces argileuses pour annihiler le gradient de concentration.
A4.3 - Page 13 :
1.1.4 Altération de l’argilite en atmosphère humide
L’argilite de l’Est contient de la pyrite. En présence d’oxygène libre et d’humidité, l’oxydation spontanée de la pyrite se traduit par la formation d’hydroxydes ferriques et d’acide sulfurique. Cet acide peut réagir avec les espèces minéralogiques voisines et entraîner ainsi soit leur dissolution, soit la transformation de nouveaux produits d’altération (Wright 2001). Les carbonates présents dans l’argilite sont facilement dissous par l’acide sulfurique. Cela conduit à la formation de gypse. Ce qui s’accompagne d’un important changement de volume. De plus, il s’agit de réactions rapides qui peuvent donc entraîner la création d’un réseau de micro-fissures (le changement de volume induisant des forces de traction dans les argilites, il y a risque de rupture) et donc des chemins préférentiels d’écoulement (Gasc-Barbier 2002).
A5 - Dans ce document : Impact de la fissuration sur les propriétés de rétention d'eau et de transport de gaz des géomatériaux : Application au stockage géologique des déchets radioactifs de Sofia M'jahad - LML - Laboratoire de mécanique de Lille, on lit : " .../... Pour l'argilite, on observe une prise d'eau progressive à HR=100%, qui engendre un endommagement du matériau. Ce dernier réduit sa capacité de rétention d'eau. Par ailleurs, ses propriétés de rétention d'eau et de transport de gaz dépendent fortement de son état hydrique initial ainsi que de son endommagement. Enfin, on observe un phénomène de colmatage au niveau des interfaces, d'abord mécanique, puis hydraulique (et surement chimique) suite à l'injection d'eau. Ceci a pour conséquence de réduire la pression de percée des échantillons d'interface."
Voir également cette thèse et ce document.
A6 - Dans cette étude où on retrouve Sofia M'jahad, on lit au paragraphe 1.1. Contexte industriel : "Après fermeture des tunnels, l’eau de la nappe phréatique environnante va progressivement imbiber le dispositif, jusqu’à potentiellement permettre son scellement. En parallèle, différents processus (corrosion humide, radiolyse de l’eau et dégradation de matières organiques, etc.) vont se produire et former du gaz au sein des tunnels, et en particulier de l’hydrogène, susceptible de monter suffisamment en pression, puis de fuir au travers de la barrière ouvragée. Il est donc crucial d’étudier l’efficacité du scellement de l’ensemble de la barrière ouvragée, et en particulier de la roche hôte, dans l’EDZ et à plus grande distance des tunnels (zone dite non perturbée) du fait de l’écoulement d’eau souterraine, et vis-à-vis d’une montée en pression de gaz."
A7 - Pourquoi l’argilite de BURE n’aime pas l’eau : le géologue Jean-Arsène JOSSEN explique.
A8 - Démonstration vidéo :
- si l'argilite de BURE se délite et se transforme en gravillons en 16 minutes,
- et l'argilite de Tournemire en 16 heures,
- celle du Mont TERRI en Suisse se transforme en boue sableuse en moins d'une heure !
Voir la vidéo. Et le stockage appelé CIGéo, durant la phase de remplissage, devrait durer un siècle !!!
A9 - Le communiqué du CEDRA du 7 octobre reprend et complète ce document.
En une poignée de minutes, un fragment d’argilite se délite tel un cachet d’aspirine, intégralement. Le regretté A.Mourot, géophysicien, avait pu faire une constatation similaire, passée quasi inaperçue à l’époque, en plaçant sur un muret extérieur de sa résidence un morceau de la même argilite. Après quelques averses, était disparu le « caillou », transformé en un petit tas de poudre boueuse.
Néanmoins cette info avait été difusée par une journaliste de Slate.fr dans un article consacré au film Into Eternity : "André Mourot contestait également l’imperméabilité et la fiabilité de l’argilite, cette roche dure, composée principalement d’argile mais aussi d’un pourcentage de calcaire, dans laquelle sont creusées les alvéoles de stockage. Cette roche est la barrière principale au relâchement de matières radioactives, or le géophysicien avait mis en évidence qu’un morceau de cette roche à l’air libre se décomposait sous la pluie"
Pour voir le site de stockage partir en javel, à 500 mètres de profondeur, il faudrait que le site se trouve ennoyé, que de l’eau se situe au-dessus, et qu’elle s’infiltre. De l’eau ? Si dès son implantation, début 1994, l'ANDRA affirmait que l’ennemie n° 1 d’un stockage souterrain de déchets radioactifs c’était l’eau, elle s’empressait d’ajouter que le secteur choisi en était justement exempt. D’ailleurs, quelques années après son arrivée dans la région, début 1999, et juste avant qu’elle ne reçoive le feu vert gouvernemental pour l’implantation d’un labo à Bure (décret du 3/08/1999), l’agence affirmait toujours que « les couches calcaires à traverser ne contiennent pas d’eau » (doc « Au Cœur de la Roche » ci-dessous, sur-lignage en jaune par nos soins).
Pas d’eau dans le sous-sol de Bure, dans les couches supérieures ? Encore un mensonge de l'ANDRA, qui l'a ensuite reconnu. Les calculs donnent même des estimations dont l'unité est le million de m3 !
Voilà donc ce qu’il en est du « coffre-fort géologique » installé sous des masses d’eau qui pourraient s’engouffrer et suivre des failles jusqu’au stockage situé en-dessous, car si l’Andra décrit le secteur de Bure comme un « bloc homogène », les études des scientifiques J.Muller/A.Mourot/A.Godinot démontraient au contraire, sur le terrain, combien la région était fracturée, multi-faillée. Et que si le Professeur Lancelot, dans une plénière publique du CLIS, se voulait rassurant en assurant que sur le site les failles étaient « cicatrisées » (selon son expression), il reconnaissait par là-même que failles et microfailles étaient bien réelles. Des failles ou microfissures qui pourraient se rouvrir sous l’effet du vide créée par les centaines de km de galeries et alvéoles d’un stockage (la nature ayant horreur du vide…), couplé à l’effet de séismes réguliers dans les Vosges toutes proches.
Microfailles ? Microfissures ? Non, affirme l’ANDRA qui met en avant une longue et coûteuse campagne de « sismique 3D » qu’elle a récemment menée, à grand renfort de com. L’inconvénient, et le géophysicien A.Mourot l’avait déjà souligné en son temps devant le CLIS, c’est que cette technique ne permet justement pas de déceler les microfissures et les décrochements de quelques mètres d’amplitude. Le géologueJ.Cabrera, qui étudie le sujet dans le laboratoire souterrain de Tournemire (Aveyron) enfonce le clou : « La surprise [avec la sismique 3D] c'est que nous n'avons pas vu les failles dans la couche d'argilite, mais seulement celles dans les couches inférieures, où le décrochement était plus grand, d‘environ 15 m. C'est important, car si on ne voit pas les failles par sondage sismique à Bure cela ne veut pas dire qu'il n'y a rien.» Il y aurait bien une autre technique, fiable, mais l’ANDRA ne l’a pas mise en œuvre à Bure. Au fait, pourquoi ?
A10 - Analyse de la réponse de l'IRSN
A10.1 - REPONSE SUCCINCTE
Le délitement observé par M. Guéritte est un phénomène connu et a déjà été étudié, entre autres par l’Andra. Le phénomène observé provient de la sensibilité à l’eau du matériau et du gonflement de certain de ses minéraux lors de son hydratation dans les conditions propres au type d’expérience réalisée. Ce phénomène ne peut se produire que si l’échantillon est déconfiné (c’est-à-dire qu’il n’y a pas de pression mécanique appliquée sur ses bords) et il s’accentue si cet échantillon est plongé dans une eau qui n’est pas équilibre chimique avec lui. Ce sont les conditions de l’expérience réalisée par M. Guéritte.
A l’état naturel, les formations géologiques argileuses profondes sont confinées (soumises à une pression importante) et sont en équilibre avec l’eau naturelle qu’elles contiennent. Le phénomène de délitement ne peut donc pas se produire. Même si la roche argileuse est saturée d’eau, sa disparition du fait de phénomènes de ce type est strictement impossible. Ce n’est qu’à la faveur d’un déconfinement, par exemple occasionné par le creusement d’un ouvrage souterrain, et d’une venue d’eau qu’un gonflement/délitement des parois de l’ouvrage peut s’observer dans certains cas. Ce phénomène reste toutefois superficiel.
Dans le cas particulier des ouvrages souterrains de Cigéo excavés dans l’argilite du Callovo-Oxfordien, la réponse à la question posée par M. Guéritte « de savoir ce qu’il se passerait si, durant le siècle de remplissage, de l’eau s’engouffrait dans le stockage ? » se résume aux points suivants :
i) Loin des ouvrages de Cigéo (au-delà de quelques mètres), l’argilite du Callovo-Oxfordien est en équilibre avec son environnement (mécaniquement, hydrauliquement, chimiquement). La question de sa sensibilité à l’eau (qui pourrait conduire à son délitement généralisé) est donc sans objet.
ii) Dans des conditions perturbées par la proximité des ouvrages de Cigéo (en-deçà de quelques mètres), la question de la sensibilité de l’argilite du Callovo-Oxfordien à une arrivée d’eau externe (p.ex. eaux des aquifères sus-jacents) se pose en effet :
Au niveau des zones où l’argilite n’est pas encore revêtue, c'est-à-dire exclusivement au niveau des fronts de taille (ce qui ne représente qu’une infime partie du linéaire des galeries, quelques mètres pour chaque front), une arrivée d’eau pourrait effectivement provoquer un délitement local de l’argilite au front de taille. Le traitement de ce délitement est néanmoins possible notamment au moyen de travaux de réhabilitation (curage de la zone affectée, pose d’un revêtement béton adapté).
Au niveau des zones où les ouvrages sont revêtus par une structure en béton (i.e. la majorité du linéaire des galeries), le confinement mécanique apporté par le revêtement béton empêche le délitement de l’argilite. En cas d’arrivée d’eau, une pression de gonflement supplémentaire sera exercée par la roche sur le revêtement, qui doit être conçu pour y résister. Compte-tenu de l’expérience acquise en matière de génie civil, ceci ne devrait pas poser de difficulté.
Notre réaction :
Le revêtement des parois par du béton projeté empêche effectivement le contact entre l'argilite et l'eau extérieure. A long terme, le béton projeté sur les parois va se déformer avec la déformation des galeries, puis se fissurer, laissant passer l'eau, qui va alors permettre aux
argilites de gonfler et d'accentuer encore la dégradation du béton de protection.
Enfin il faut souligner que le scénario accidentel d’arrivée d’eau est à prendre en compte dans l’analyse de sûreté de toute installation nucléaire, y compris Cigéo. Lors de son examen du dossier 2009, l’IRSN a d’ailleurs fait des recommandations en ce sens.
En conclusion, les phénomènes liés à la sensibilité à l’eau des argilites du Callovo-Oxfordien sont étudiés et pris en compte dans la conception et l’analyse de sûreté de Cigéo. Il n’est pas anticipé à ce stade de difficultés particulières pour démontrer la sûreté de l’installation vis-à-vis des phénomènes de gonflement/délitement de l’argilite qui pourraient se produire.
Notre réaction :
Tant que l'installation sera opérationnelle, il sera possible de contrôler l'état de la protection des parois des galeries, même si il y aura des déformations des galeries, en « réparant » les zones qui se seraient fissurées par exemple. Par contre en cas d'événement catastrophique, venue d'eau massive, panne des pompes... l'eau finira par traverser la couche de protection des galeries et arrivera jusqu'aux argilites, avec déformation et aggravation de la situation. La conclusion n'est pas satisfaisante, car une analyse de risque doit justement anticiper le pire du possible.
A10.2 - REPONSES DETAILLEES
aux questions posées par M. Guéritte :
« Un peu tardivement j’ai découvert qu’un morceau d’argilite de BURE, (moins de 150 g), plongé dans un verre d’eau, se délite et se transforme en gravillons, en 16 mn.
Pourquoi ?
Comment ?
Pour quelles raisons ?
Quelles lois physiques ? »
I) Concernant ces quatre questions, le délitement observé ici est une illustration ultime du concept de sensibilité à l’eau de certaines roches, en particulier des roches sédimentaires argileuses, lorsque elles sont excavées et exposées à des conditions ambiantes particulières très différentes de leurs conditions initiales naturelles en termes de teneur en eau (quantité d’eau contenue dans la roche) et de contraintes (effet du poids des couches sus-jacentes et de la tectonique).
Cette sensibilité s’exprime par une évolution de leurs propriétés par rapport à leurs propriétés initiales en place avant extraction, pouvant aller jusqu’à la perte totale de leur consistance initiale par délitement suivant les plans de litage.
Sont présentées ci-dessous tout d’abord une explication du phénomène de délitement, étroitement liée au gonflement de certains minéraux argileux, suivi d’une interprétation de l’observation réalisée par M. Guéritte, et enfin des considérations portant sur la sensibilité à l’eau des roches argileuses, en particulier dans le contexte de Cigéo.
a) Une explication simplifiée du phénomène de délitement
Les roches argileuses ont comme point commun de contenir une proportion non négligeable d’argiles. A l’instar des sols argileux, ces roches sont le siège d’interactions physico-chimiques entre l’eau (y compris ses solutés) et certains minéraux argileux, en particulier ceux de la famille des smectites (on parle d’argiles réactives).
L’origine de ces interactions est à rechercher à l’échelle microscopique, en fort lien avec la porosité du matériau et avec la structure en feuillets de ces minéraux :
i) une distribution particulière des charges électriques (excès de charges négatives) à la surface des feuillets,
ii) une structuration de l’eau porale (l’eau est fortement liée aux feuillets à leur proximité, l’eau est dite « libre » plus loin de ceux-ci) fonction des conditions chimiques et
iii) une répartition organisée des ions contenus dans l’eau (cations, anions).
Les forces de répulsion résultantes entre les feuillets des minéraux argileux sont traduites par le terme de « pression de gonflement ». Son équivalent macroscopique, appelé aussi « pression de gonflement » (notée Pg), est défini classiquement comme la contrainte à appliquer pour qu’un échantillon conserve un volume constant lors de la saturation.
Les changements des conditions d’environnement d’un sol ou d’une roche argileuse s’accompagnent en général de modifications de l’état hydrique (p.ex. un séchage ou au contraire un apport d’eau extérieure) associées à un déconfinement (p.ex. l’excavation d’un déblai, d’un tunnel). Les déséquilibres hydriques et chimiques induits modifient les interactions entre l’eau porale et les minéraux argileux. Ceci peut activer différents phénomènes mettant en jeu une variation de l’état d’hydratation à l’échelle microscopique, tels que du gonflement interfoliaire (i.e. entre les feuillets élémentaires d’argile qui ont entre 0,7 et 1 nanomètre d’épaisseur), du gonflement interparticulaire (i.e. entre particules constituées d’empilement de feuillets élémentaires, de quelques dizaines à quelques centaines de nanomètre), des phénomènes osmotiques (liés à des différences de concentration en sel de l’eau), dont la résultante macroscopique peut se traduire par un gonflement. - La contribution au gonflement d’origine capillaire est exclue ici, car ce dernier existe pour tous les matériaux poreux (il n’est donc pas spécifique aux matériaux argileux sensibles à l’eau), et il est en général de beaucoup plus faible amplitude.
Néanmoins, le gonflement macroscopique, lié à une augmentation de l’état d’hydratation du matériau, ne peut se produire que si :
- Les conditions aux limites mécaniques le permettent, le cas le plus favorable à ce gonflement étant une contrainte « effective » de confinement (notée ’) nulle (soit ’=0), correspondant en quelque sorte à une totale liberté de gonfler.
- Les liaisons solides supplémentaires (ayant un rôle de « cimentation » entre les particules argileuses) pouvant exister au sein de la matrice argileuse, - Certaines roches argileuses sédimentaires sont en partie cimentée (p.ex. par un ciment carbonaté de type micritique) ; C’est entre autres le cas des argilites du COx (cf. Tome 1 du Référentiel du site MHM, 2009) - et responsables en partie de la résistance (notée R) de la roche, sont d’abord rompues. - Dans les sols argileux, cette résistance est proche de zéro . Cette disparition des liaisons solides au sein de la roche, qui conduit in fine au phénomène de délitement4, est en effet nécessaire pour que la distance entre les feuillets et/ou les particules puissent augmenter sous l’effet des forces d’hydratation. Selon le litage, ici le plan d’alignement préférentiel des minéraux argileux.
En d’autres termes et de façon simplifiée, il faut que la condition Pg > R+’ soit vérifiée pour qu’un gonflement macroscopique, conduisant dans le cas d’une roche argileuse à son délitement, puisse se produire.
b) Interprétation de l’observation réalisée par M. Guéritte
L’observation réalisée, à savoir le délitement total au bout de 16 mn d’un échantillon d’argilite du Callovo-Oxfordien (COx) plongé dans un verre d’eau (minérale), est bien connue et peut être analysée à partir des explications précédentes. On pourra noter qu’un programme d’expérimentations assez similaires a été réalisé dans le passé, dans des conditions contrôlées en termes de chimie des solutions utilisées et de suivi du phénomène de délitement par micro-tomographie aux rayons X (cf. thèse de H. Freissmuth5, 2002).
Influence de l’eau sur le comportement mécanique des roches argileuses – Thèse de l’Ecole des Mines de Paris.
Pour interpréter plus en détail l’observation de M. Guéritte, il est nécessaire de préciser (ou de postuler quand les données ne sont pas disponibles) quelques conditions initiales :
- L’échantillon utilisé n’était pas confiné comme il le serait en place s’il était soumis à la contrainte correspondant au poids des terrains sus-jacents avant excavation, il était donc libre de se déformer dans toutes les directions.
- L’échantillon utilisé était à priori dans un état hydrique assez sec (l’eau n’occupant plus de ce fait tout le volume poreux, partiellement occupé par l’air), logiquement en équilibre avec les conditions d’humidité ambiantes (non précisées). En faisant l’hypothèse raisonnable d’une humidité relative (notée HR) comprise entre 50 et 80 %, la succion (ou pression capillaire) correspondante au sein de l’échantillon devait donc être considérable et comprise entre 96 et 31 MPa (soit entre 960 et 310 bars). La situation in situ est différente avec une roche saturée d’eau ou proche de la saturation. - La pression capillaire est calculée à partir de T=27°C (valeur indiquée par le thermomètre dans la vidéo de M. Guéritte) et HR en utilisant la loi de Kelvin.
- La chimie de l’eau utilisée n’est pas connue, mais sa composition était certainement en fort déséquilibre chimique avec l’eau porale naturelle de l’argilite qui possède une teneur totale en sels dissous d’environ 5-7 g/L.
Lors de l’immersion de l’échantillon dans l’eau, plusieurs phénomènes sont à l’oeuvre :
- L’échantillon est exposé au contact de l’eau sur toutes ses faces libres.
- La pression capillaire (i.e. pression d’eau négative) au coeur de l’échantillon est de plusieurs centaines de bars (entre 960 et 310), alors qu’elle est voisine de 0 bar au niveau de ses faces immergées. En d’autres termes, il s’agit ici d’un « choc hydrique » très violent.
- L’eau utilisée dans ces essais est en déséquilibre chimique avec l’eau porale, ce qui est un facteur pouvant induire ou favoriser grandement le délitement. - Freissmuth (2002) observe que le délitement est le plus important pour les solutions peu ou faiblement concentrées, ce qui est consistant avec le modèle théorique. Néanmoins, il obtient un résultat qui parait étonnant à première vue, à savoir que l’utilisation d’eau reconditionnée ne limite pas du tout le délitement ! En revisitant le mode opératoire utilisé par Freissmuth pour préparer cette eau, on comprend en fait qu’il s’agit d’un lixiviat d’une poudre d’argilite. En reprenant les concentrations mesurées pour cette eau fournies par Freissmuth (table 7 page 78), et en les comparant avec les concentrations de l’eau porale du COx, on constate effectivement que ces deux eaux n’ont rien à voir entre elles. Les eaux de COx sont beaucoup plus concentrées en anions (Cl-, SO42-) et cations (Na+, K+, Mg2+ et Ca2+). L’eau reconditionnée utilisée par Freissmuth est donc beaucoup plus proche d’une eau pure que de l’eau du COx, ce qui rend consistante l’observation faite qu’elle ne limite pas du tout le délitement.
- Le déconfinement de l’échantillon est total (i.e. ’=0), il est donc totalement libre de gonfler à partir des faces exposées à l’eau (la contrainte totale en place et la pression d’eau valent respectivement environ 12 MPa et 4,9 MPa à 490 m de profondeur).
A partir de ses faces, l’eau commence à pénétrer dans les pores de l’échantillon par capillarité. Le choc hydrique8 produit un gonflement brutal par hydratation en peau de l’échantillon, avec un passage instantané de 30 à 0 MPa de la succion, alors que le coeur reste dans son état hydrique initial assez sec. - Freissmuth (2002) a effectivement montré qu’en l’absence de choc hydrique (limité au moyen d’une hydratation préalable en phase vapeur à HR=98 %), le délitement pouvait ne pas se produire sur la durée des essais, même en conditions déconfinées. Il en ressort d’ailleurs une conclusion intéressante pour la réalisation d’essais mécaniques plus représentatifs.
Au niveau des particules argileuses, cette incorporation brutale d’eau (gonflement interparticulaire), favorisée par le déséquilibre chimique, induit des forces de gonflement. En l’absence de confinement (’=0), ces forces dépassent la résistance des liaisons solides, ce qui conduit à leur rupture. L’hydratation des minéraux argileux peut alors s’amplifier (gonflement interparticulaire et interfoliaire).
En résumé, c’est l’hydratation/gonflement brutal des minéraux argileux de type smectites qui, en l’absence de confinement et une fois la résistance du ciment de la matrice argileuse dépassée, conduit au délitement progressif de l’échantillon. Page 6/10
En conclusion, l’expérience menée par M. Guéritte est représentative de conditions particulières (absence de confinement, déséquilibre chimique et choc hydrique), mais qui ne sont pas représentatives des conditions naturelles auxquelles les argilites du COx sont soumises, cf. points suivants d) et e).
Notre réaction :
Tout ceci est très intéressant, et confirme nos craintes, en effet, notre soucis ce ne sont pas les conditions naturelles auxquelles les argilites du callovo-oxfordien sont soumises mais bien les conditions particulières, absence de confinement, déséquilibre chimique et
choc hydrique, qui seront les conditions d'un accident majeur, car si il y a envahissement brutal des galeries par une venue d'eau massive, on ne sera plus dans les conditions naturelles, à l'abri des activités humaines.
c) Le concept de sensibilité à l’eau des roches argileuses est-il nouveau ?
Le concept de sensibilité à l’eau des matériaux argileux, allant jusqu’au délitement, n’est pas nouveau. C’est un fait bien connu dans le domaine de la géotechnique classique associée aux ouvrages de surface, même si sa modélisation détaillée reste encore un sujet de recherche d’actualité.
A titre d’exemple, le caractère de sensibilité des roches aux sollicitations hydriques est caractérisé par le coefficient de dégradabilité, dont la détermination est décrite par la norme NF P 94 067 « Coefficient de dégradabilité des matériaux rocheux ». Ce coefficient est utilisé entres autres pour classer les différents types de roches argileuses, et leur utilisation éventuelle en géotechnique routière.
La sensibilité à l’eau des roches et sols argileux est également un facteur pris en compte lors de la réalisation de fondations superficielles. Dans ce cas, différents types essais (p.ex. essais d’imbibition à volume constant, essais Huder-Amberg…) permettent de caractériser le caractère gonflant du matériau argileux en relation avec les conditions géotechniques particulières du cas d’étude traité.
Enfin, on pourra noter que pour excaver des ouvrages souterrains (forages, tunnels routiers, tunnels ferroviaires…) dans ce type de roches, des dispositions particulières sont classiquement mises en oeuvre, en particulier l’ajout de fluides à base d’eau est limité voire proscrit. Afin d’éviter la réaction de l’argilite avec le fluide de forage, les dispositions suivantes ont entre autres été mis en oeuvre par l’Andra pour réaliser les différents ouvrages du laboratoire souterrain de Bure (forages, puits, galeries) : excavation et forage à sec, ou forages utilisant une boue à base d’huile.
d) Dans les conditions naturelles et à la profondeur visée par Cigéo, les argilites du Callovo-Oxfordien peuvent-elles être sensibles à l’eau ?
A l’état initial (c.-à-d. avant intervention humaine, p.ex. une excavation), l’argilite du Callovo-Oxfordien (COx) est dans un état de pseudo-équilibre avec ses conditions environnantes (mécaniques, hydrauliques, géochimiques…). En effet, l’état actuel naturel de cette roche résulte de processus géologiques extrêmement lents et progressifs (compaction, cimentation progressive…). Elle contient par exemple environ 150 litres d’eau9 (en considérant une porosité de 15 %) par mètre cube, et ceci ne l’empêche pourtant pas d’être une roche massive et dotée d’une certaine résistance. - Cette eau porale est chimiquement équilibrée avec les différents minéraux de la roche.
Elle ne peut en fait pas incorporer plus d’eau en raison d’une part de la résistance (R) provenant de sa cimentation naturelle (matrice carbonatée), et d’autre part des contraintes effectives (’) auxquelles elle est soumise in situ (entre 7 et 10 MPa, soit entre 70 et 100 bars, incluant l’effet du poids terrain sus-jacents), dont la somme est au moins égale à la pression de gonflement (Pg) résultant des interactions entre les minéraux argileux et l’eau porale (c'est-à-dire qu’on a Pg = R+’).
Notre réaction :
Les argilites du callovo-oxfordien n'ont pas une matrice carbonatée, mais une matrice argileuse, cf. Thèse de Fan Zhang, 2011. Voir à ce propos la conclusion de ce document.
Ceci explique finalement que la roche ne gonfle pas (et ne se délite pas) dans son état naturel (si c’était le cas, c’est tout l’Est du Bassin de Paris se soulèverait par gonflement).
Notre réaction :
Justement ce n'est pas l'état naturel qui nous intéresse. On est d'accord qu'à l'état naturel elles ne posent pas de problème.
Parler de sensibilité à l’eau pour l’argilite du COx dans son état naturel n’a donc pas donc réellement de sens. Dit autrement, c’est une roche qui est potentiellement sensible à l’eau, mais les conditions in situ (mécanique, hydrauliques, chimiques) « en équilibre » ne permettent pas l’expression de cette sensibilité.
e) Dans les conditions perturbées par Cigéo, les argilites du Callovo-Oxfordien peuvent-elles être sensibles à l’eau ?
Lorsque l’argilite est placée dans des conditions d’environnement différentes de son état initial, la question de la sensibilité à l’eau de cette roche peut se poser, en particulier suite au creusement des ouvrages souterrains. Elle va dépendre de plusieurs facteurs, entre autres :
- Des paramètres intrinsèques à l’argilite, tels que la proportion et le type de ses minéraux argileux, sa texture, son caractère plus ou moins cimenté par une matrice carbonatée (au sens de matrice liant physiquement les différents minéraux entre eux en donnant une cohésion à l’ensemble) responsable en grande partie de sa résistance mécanique, sa porosité… Ainsi en raison de la variabilité naturelle de ces paramètres pour cette famille de roches, des sensibilités à l’eau différentes peuvent être observées. Ceci explique pourquoi des échantillons d’argilites provenant de Bure, Mont Terri et Tournemire ne se délitent pas nécessairement de la même façon. On pourra d’ailleurs noter que, même pour l’argilite du COx, la sensibilité à l’eau peut, pour les mêmes raisons, (la composition minéralogique des argilites du COx montre une certaine variabilité en fonction de la profondeur), montrer des variations significatives. Dans certains cas, le délitement peut même ne pas être obtenu sur la durée des expérimentations (cf. Freissmuth, 2002).
- De l’amplitude de la modification des conditions in situ dans laquelle la roche se trouvait initialement, en particulier en termes de contraintes et de pression de pore. - C’est le cas par exemple lors de l’excavation de ce type de roche à proximité de la surface (cas de la réalisation de déblais routiers) ou plus en profondeur (cas par exemple de l’excavation d’ouvrages souterrains).
Intuitivement, on perçoit bien qu’une roche subissant un déconfinement équivalent à une remontée de 500 m sera plus perturbée que la même roche si elle n’était remontée que de 100 m, ou 10 m de profondeur. - On peut faire une analogie avec la plongée aquatique sur bouteilles : pour l’organisme d’un plongeur, la remontée d’une plongée profonde est plus perturbante que celle d’une plongée de surface.
Ainsi, l’excavation provoque une déformation de la roche (on parle de décompaction). De par sa texture et sa composition minéralogique (l’argilite est un assemblage de minéraux ayant des propriétés mécaniques assez contrastées), cette décompaction se produit de façon hétérogène et peut conduire au développement d’une fissuration autour des ouvrages excavés (on parle aussi d’endommagement).
- Des conditions mécaniques externes qui sont appliquées à la roche après son excavation. En d’autres termes, la roche est-elle libre de se déformer (c’est le cas par exemple lorsque la roche excavée est remontée à la surface et stockée sous forme de verses) ou au contraire est-elle confinée mécaniquement, c’est – à dire qu’une structure (p.ex. c’est le cas des revêtements en béton mis en place au pourtour des galeries) l’empêche de se déformer ?
- Des conditions d’environnement auxquelles la roche est soumise à l’état excavé, qui peuvent permettre à différents « agents altérants » d’opérer, tels que le gel, des cycles d’imbibition-séchage, voire même des effets chimiques (p.ex. effets osmotiques, dissolution de certaines phases minérales sous l’effet d’eaux agressives chimiquement vis-à-vis de la roche…).
En résumé, c’est donc la combinaison de ces facteurs qui peut, dans certains cas seulement, conduire à l’expression de la sensibilité à l’eau de l’argilite du COx sous forme d’un gonflement (et d’un délitement) quand Pg > R+’. Examinons maintenant les différentes conditions auxquelles l’argilite est soumise dans le contexte de Cigéo.
1) En champ lointain (i.e. loin des ouvrages excavés)
Au fur et à mesure que l’on s’éloigne d’un ouvrage excavé, l’argilite se retrouve progressivement dans des conditions proches des conditions initiales (i.e. avant son excavation). On retrouve donc la conclusion faite au point d), à savoir que la sensibilité à l’eau ne peut pas s’exprimer.
2) En champ proche (i.e. au pourtour des ouvrages excavés)
Au moment de l’excavation (et juste après), les perturbations résultantes de l’excavation sont les plus marquées aux parois de la zone excavée : déconfinement mécanique, perturbations hydriques (voire oxydantes), et endommagement associé.
Comme dans tous les tunnels en cours de creusement, il existe effectivement au niveau du front d’excavation (et uniquement à cet endroit) de façon temporaire (durée typique de l’ordre du jour) une section de roche à nu sur une longueur de quelques mètres. Pour des questions de sûreté opérationnelle et de limitation des perturbations, cette partie est tout d’abord soutenue (béton projeté), puis revêtue par un revêtement rigide (béton coulé ou voussoirs). Ainsi, tous les ouvrages excavés dans le COx sont revêtus au fur et à mesure de l’avancée de l’excavation (on parle de « soutènement/revêtement posés à l’avancement »). Ce revêtement, dimensionné pour résister mécaniquement à la poussée de la roche, apporte un confinement mécanique des argilites en parois des ouvrages.
Notre réaction :
C'est ce cas de figure qui nous intéresse. Ils expliquent le processus, béton projeté puis renforcement des galeries avec du béton coulé ou des voussoirs. Les voussoirs, on peut douter qu'ils en mettent beaucoup, parce que ce sont des ouvrages importants. Le béton coulé est utilisé au Mt Terri pour réaliser un radier rigide sur le plancher des galeries, ça maintient l'écartement des galeries à la base de la galerie.
Le front d'excavation des galeries. On peut être d'accord sur le fait que c'est temporaire et représente une faible surface.
Le cas général des ouvrages revêtus. On est d'accord qu'on maîtrise ces techniques pour une durée de vie normale d'un ouvrage, mais là on n'est pas dans le cas d'une durée de vie normale.
Deux cas doivent donc être considérés vis à vis de la sensibilité de l’argilite à une arrivée accidentelle d’eau « externe » :
Une défaillance temporaire du système d’exhaure des eaux provenant des aquifères carbonatés supérieurs (le long des ouvrages de liaison surface-fond : descenderies, puits) est effectivement un scénario considéré dans l’analyse de la sûreté opérationnelle du stockage (cf. point II). Néanmoins, des systèmes d’exhaure sont classiquement utilisés en mines, dans certaines carrières et également dans certains tunnels (p.ex. le tunnel sous la Manche, le tunnel Lyon-Turin…). Ceci permet d’avoir un bon retour d’expérience sur ce type de systèmes. Externe : au sens d’une eau différente (i.e. chimiquement beaucoup moins concentrée en sels) par rapport à l’eau porale « interne » naturellement contenue dans les pores de l’argilite du Callovo-Oxfordien.
- Le cas particulier des fronts d’excavation non-revêtus (i.e. argilite « à nu »)
Ce cas représente en fait une infime partie des ouvrages excavés (quelques mètres de galerie situés aux fronts d’excavation) en comparaison des kilomètres de galeries revêtues. L’arrivée d’une eau externe, conduirait à un déséquilibre chimique par rapport à l’argilite du COx et elle produirait également un déséquilibre hydrique, qui produirait un délitement local du front excavé, restreint à la partie non encore revêtue.
Néanmoins, l’exhaure est dans les faits réalisée à partir des points bas des ouvrages de liaison (descenderies, puits). Une défaillance temporaire du système d’exhaure ne conduirait donc pas immédiatement à la venue d’eau aux fronts des ouvrages en cours d’excavation. En cas de défaillance prolongée, en fonction de l’intensité du délitement produit, un curage de la zone affectée suivi de la pose d’un confinement béton adapté serait alors nécessaire.
- Le cas général des ouvrages revêtus (i.e. argilite « confinée »)
Par opposition au cas précédent, ce cas représente la grande majorité des ouvrages excavés. En raison du confinement mécanique des parois de l’argilite apporté par le revêtement béton, une arrivée d’eau « externe » ne conduira pas au délitement de l’argilite. Elle pourra néanmoins conduire à une augmentation de la contrainte radiale sur le revêtement. Ce phénomène est bien identifié dans les études du comportement mécanique de la roche, il devra être intégré dans les études de dimensionnement en préparation de la DAC (Demande d’Autorisation de Création du stockage). Compte-tenu de l’expérience acquise en matière de génie civil, ceci ne devrait pas poser de difficulté. Par ailleurs, une telle arrivée d’eau pourrait également favoriser les phénomènes d’auto-colmatage (cf. point suivant).
Pour compléter le panorama, il n’est pas inutile d’évoquer la question de la sensibilité de l’argilite en champ proche à une arrivée d’eau « interne14 » : - L’eau porale naturellement contenue à l’intérieur des pores de l’argilite.
Dans ce cas, c’est l’arrivée d’eau porale par l’intermédiaire de l’argilite qui est considérée. Ce cas, qui correspond au chemin « naturel » selon lequel les différents ouvrages et la roche à proximité vont se saturer, n’a lui rien d’hypothétique.
Les observations réalisées dans différentes expérimentations sur échantillons comme en laboratoire in situ (Mol, Mont-Terri, Bure) montrent que, dans la zone endommagée autour des ouvrages, cette arrivée d’eau porale conduit à un auto-colmatage des fractures.
Ces phénomènes d’auto-colmatage sont également étudiés à Bure dans une expérience dédiée, appelée CDZ (cf. « Avis de l’IRSN relatif aux commentaires de l’Andra sur le rapport de l’IEER » présenté devant l’ANCCLI et la CLIS de Bure le 9 avril 2013).
Cet auto-colmatage résulte en fait des mêmes processus (gonflement interfoliaire et interparticulaire de l’argilite au niveau des vides, ici, des fractures de l’EDZ ou des vides éventuels entre le revêtement et l’argilite) que le délitement. On voit finalement qu’à long terme, la sensibilité à l’eau de l’argilite va in fine favoriser le colmatage des vides, et qu’elle peut avoir un effet positif sur la sûreté. Page 10/10
II) Concernant le traitement du risque d’inondation
Le scénario accidentel d’arrivée d’eau est à prendre en compte dans l’analyse de sûreté de toute installation nucléaire, y compris Cigéo.
Les dispositions retenues par l’Andra dans le Dossier 2009 vis-à-vis de ce risque ont été examinées par l’IRSN. Ce rapport d’évaluation est public et accessible sur le site internet de l’IRSN (la partie de ce rapport en relation directe avec cette question, extraite du §5.3.2, est recopiée ci-dessous) :
Pour ce qui concerne le risque d’inondation d’origine externe, l'Andra indique [1] que la traversée par les puits des niveaux perméables et productifs tels que l’aquifère du Barrois « nécessite des dispositions constructives pour réaliser une étanchéité à ces niveaux. Celles-ci ont été testées dans le laboratoire souterrain et le retour d’expérience sera utilisé ». Néanmoins, le Dossier 2009 ne présente pas les dispositions qui seront mises en place dans les puits et la descenderie pour gérer les eaux en provenance des aquifères. L’IRSN rappelle en outre, ainsi qu’indiqué dans son avis DSU/2009-166 du 22 décembre 2009 relatif au choix de la ZIRA, que la reconnaissance des poches karstiques les plus importantes de l’aquifère du Barrois, par exemple au moyen de profils de résistivité électrique ou de forages à l’avancement, est un moyen de prévenir les risques d’inondation liés à ces poches lors du creusement des liaisons jour-fond du futur stockage.
D’une manière générale, l’IRSN considère que l’Andra devra présenter, dans le dossier accompagnant la DAC, les dispositifs de maîtrise des eaux qui seront mis en place au niveau du Barrois dans les puits et dans la descenderie. Pour ce qui concerne les dispositifs d’étanchéité, l’Andra devra préciser leur objectif de performance, les dispositions de contrôle de leur efficacité, ainsi que les conséquences d’un éventuel défaut et les dispositions associées pour y remédier. Pour ce qui concerne les dispositifs de collecte et d’évacuation des eaux drainées, l’Andra devra justifier, au regard des quantités d’eau susceptibles d’être recueillies, le dimensionnement des capacités de rétention et des débits d’évacuation. En outre, l’Andra devra évaluer, sur la base de premières investigations de terrain, la présence éventuelle de poches karstiques à proximité des liaisons jour-fond et présenter sa stratégie vis-à-vis d’éventuels compléments d’investigation et de gestion de ces poches. Ce point a fait l’objet d’un engagement de la part de l’Andra (cf. lettre DG/10-0324).
Notre réaction :
On nous dit que les risques d'inondation ne sont pas encore maîtrisés. Le seront-ils un jour ? On peut en douter. Le tunnel autoroutier du Mt Terri, parallèle au laboratoire du Mt Terri, connaît un problème de venues d'eau, chaussée inondées en périodes de pluie, depuis sa mise en service en 1997. Pourtant tout a été tenté depuis pour y remédier, en vain. C'est la partie qui traverse les calcaires qui est en cause. Le tunnel est un tunnel relativement récent, l'autoroute A16 étant la dernière autoroute en construction en Suisse, ils ont profité des expériences acquises ailleurs, sans succès. Pourtant la pression a été mise sur l'entreprise de génie-civil responsable des travaux.
Une autre question reste en suspens, le colmatage des galeries avec du matériel argileux « remanié » donc avec des argilites qui ne seront plus dans les conditions naturelles.
En résumé il ne faut pas négliger l'impact des activités humaines sur un système naturel. Et surtout ne pas hésiter à demander des analyses de risques avec les scénarios les plus « invraisemblables ».